Une très longue Histoire
géologique
Les couches géologiques, qui affleurent au Djebel Dahar constituent une fenêtre unique sur le sous-sol de la plate forme-saharienne. L’Histoire géologique de ce Djebel est intimement liée à l’ouverture progressive de la mer téthysienne, depuis la fin de l’Ère primaire, il y a environ 250 millions d’années, et aux fluctuations de ses eaux sur la plate-forme saharienne durant toute l’Ère secondaire (245 à 65 millions d’années). Vers la fin du Crétacé supérieur, le retrait définitif de la mer et le soulèvement de la plate-forme saharienne donnent lieu au Djebel Dahar. Depuis, ce dernier est exposé aux phénomènes de l’érosion et de la sédimentation continentale qui ont façonné ses paysages et continuent à le faire jusqu’à nos jours.
Diagramme illustrant l’organisation en gradin des terrains mésozoïques dans la province septentrionale (graben de Tataouine)
Le Djebel Dahar, mémoire de la Téthys
Le Djebel Dahar fait partie de la plate-forme saharienne. Son histoire géologique a commencé depuis la fin de l’Ère primaire, il y a 250 millions d’années, guidée par l’activité de trois failles profondes orientées Est-Ouest. La faille de Tébaga longe le chaînon montagneux du même nom. La deuxième faille se situe à Zemlet el Ghar juste au nord de la ville Tataouine. La troisième faille, celle de Briga, se localise à une dizaine de kilomètres au nord de la ville de Remada. Ces failles ont déterminé une structuration du Djebel Dahar en compartiments. Le compartiment du Tébaga correspond à un bloc soulevé (un horst) délimité par la faille de Tébaga au Nord et celle de Zemlet el Ghar au Sud. Il s’est comporté durant l’Histoire géologique comme un môle n’ayant permis que des accumulations de couches géologiques carbonatées d’épaisseurs souvent réduites avec des périodes de manque total de sédimentation (lacunes stratigraphiques) reposant en discordance angulaire sur les terrains paléozoïque. Le meilleur exemple de ce type de contact anormal entre les couches géologiques est nettement visible à Halg Jmel. Le compartiment de Tataouine correspond plutôt, à l’inverse de celui du Tébaga, à un bloc effondré (un graben), situé entre la faille de Zemlet el Ghar au Nord et celle de Briga au Sud. Etant donné son affaissement, le graben de Tataouine a été le siège, durant l’Histoire géologique de la région, d’une sédimentation relativement continue et épaisse. Ces couches géologiques se succèdent normalement et sans lacunes importantes. Leurs affleurements dans la région de Tataouine, depuis le Djebel Rehache jusqu’aux environs de Chénini, constituent une série complète de la sédimentation au cours de l’Ère secondaire et des archives précieux de son histoire.
Début de l'ouverture de la Téthys
Au Permo- Carbonifère, il y a environ 300 millions d’années, la Pangée, unique continent de la planète, a commencé à se scinder en deux grands continents, la Laurasie au Nord et le Gondwana au Sud. Ce mouvement important d’amorçage de la dérive des continents a permis l’ouverture de la Téthys (ancêtre de la Méditerranée) qui a continué durant toute l’Ère secondaire (250 à 65 millions d’années). La nature des sédiments et les fossiles qui caractérisent les couches géologiques du Djebel Tébaga de Medenine, constituent les témoins précieux de la diversité et de la richesse de la Téthys embryonnaire ainsi que la nature tropicale de ses eaux qui rappellent celles de la mer rouge aujourd’hui.
Au cours du Permien supérieur (environ 250 million d’années) le chaînon du Djebel Tébaga de Medenine a été le siège de l’accumulation d’une série de couches géologiques, épaisse d’environ 500 mètres et formée d’une succession d’argiles, de grès et de calcaires fossilifères dans laquelle s’intercalent deux barres massives de calcaire récifal, éponges et coraux. Ces deux barres carbonatées, inclinées de 30° vers le Sud s’expriment dans le paysage morphologique actuel par deux crêtes. Ces reliefs saillants alignés Est/Ouest, à l’opposé du reste du Djebel Dahar, constituent un héritage d’une importante activité tectonique qui date de la fin de l’Ère primaire (orogenèse hercynienne), il y a environ 245 millions d’années.
Particulièrement bien exposée à Merbah El Oussif et à Halg Ejjmel, ces couches permiennes sont célèbres par la richesse et la diversité de leur contenu paléontologique qui comporte les fossiles marins uniques du Permien supérieur en Afrique. A côté des fossiles d’éponges, de coraux et de bryozoaires, on note l’abondance de restes de lys de mers ou crinoïdes, des couches à bellérophons, plusieurs espèces de fusulines, l’unique Trilobite tunisien et l’un des derniers représentants de ce type d’arthropodes: Pseudophyllipsia azzouzi.
Au sommet du Djebel Tébaga, cette série sédimentaire marquant le passage de l’Ère primaire à l’Ère secondaire, montre des traces de pattes d’Edaphosaurus, reptile terrestre, ancêtre des dinosaures, et des fragments de bois fossiles.
Retrait de la mer à la fin de l’Ère primaire et au début de l’Ère secondaire
A la fin du Permien et au Trias inférieur (245 à 230 millions d’années), le retrait de la mer laisse de vastes terres émergées qui ont été couvertes, grâce à des conditions climatiques humides favorables, par d’importantes plaines transformées en deltas et recevant l’apport des fleuves qui y débouchent. Cette période coïncide avec la plus grande crise de biodiversité responsable de l’extinction la plus massive, que le globe terrestre ait connu, avec la disparition de plus de 50% des espèces terrestres et de 75% des espèces marines. Les dépôts des environnements littoraux et des plaines côtières, sont matérialisés par une série de couches épaisses de 900 m, constituées de grès à bois fossiles et d’argiles rouges. Uniquement la partie sommitale de cette série affleure à la base du relief principal à partir du chaînon de Djebel Tébaga de Medenine au Nord jusqu’au Djebel Sidi Toui, dans la plaine d’El Ouara au Sud.
Retour de la mer, première transgression marine de l'Ère secondaire
L’Ère secondaire a connu sa première transgression marine il y a 230 à 220 millions d’années au Trias moyen. Cette transgression a conduit à l’accumulation de deux couches carbonatées fossilifères au dessus du Trias gréseux, bien visibles au pied de Djebel Rehache. C’est dans ses carbonates que les débris d’os de reptiles marins géants, Placodontes et Notosauriens, les ammonites primitives du genre Ceratites, les nautiles, les Myophories et de nombreux autres mollusques, ont été repérés.
Retrait de la mer au Trias supérieur et au Jurassique inférieur
La deuxième importante crise de biodiversité qu’a connu la Terre au cours de son Histoire géologique, est celle de la limite Trias – Jurassique, il y a 205 millions d’années. Elle est probablement due à des conditions climatiques extrêmes, marquées par des chaleurs élevées et une grande aridité, sur un intervalle de temps d’environ 50 millions d’années (de 220 à 170 millions d’années). Au cours de cette période, la bordure nord de la plate-forme saharienne, comme dans beaucoup d’endroits à la surface de la planète, s’est transformée en une gigantesque machine à fabriquer des sels. Ainsi, des couches de gypse pouvant atteindre 1000 m d’épaisseur, visibles dans les plaines de Bhir et de Mestaoua, se sont déposées dans des immenses sebkhas littorales couvrant plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés. Il s’agit de l’une des plus importantes accumulations gypseuses connues dans les formations géologiques du globe terrestre. Ces couches de gypse montrent plusieurs intercalations carbonatées qui témoignent des brèves transgressions marines ayant alimenté en eau les sebkhas et leur ont fourni les solutions riches en sels. La plus importante de ces transgressions est celle qui a donné lieu à une couche dolomitique qui constitue actuellement la corniche du Djebel Grimissa. Elle date du début du Jurassique moyen (au Bajocien, il y a environ 175 millions d’années).
La grande transgression du Jurassique moyen et du début du jurassique supérieur
Au Jurassique moyen et au début du Jurassique supérieur (165 à 150 millions d’années), l’ouverture de la Téthys a atteint un stade très avancé provoquant une très importante transgression marine. Les eaux de la Téthys n’ont jamais été aussi favorables au développement d’organismes vivants. La terre ferme était aussi couverte par une végétation assez diversifiée. Le fossé de Tataouine formait une large baie affaissée au centre et aux bordures soulevées. Les eaux de la Téthys séjournaient plus longtemps dans ce bassin et la tranche d’eau a atteint son maximum de profondeur. Elle y a laissé des couches épaisses d’environ 250 m, bien exposées dans les environs de Ghomrassen à Chaabet Beni Ghédir et à Ksar Mrabtine, ainsi que dans les environs de Tataouine à Stah Chahbania (géosite n°24). Ces couches sont constituées par des alternances de sables, de marnes et de calcaires qui ont livré une faune riche et diversifiée d’invertébrés marins avec des gastéropodes, céphalopodes, brachiopodes, échinodermes, bryozoaires, éponges et coraux. De véritables prairies sous-marines ont couvert les fonds de la mer téthysienne et d’importantes bio-constructions récifales se sont installées sur les irrégularités des reliefs sous-marins et ont colonisé la mer au début du Jurassique supérieur (à l’Oxfordien, il y a environ 150 millions d’années). Ces édifices fossiles à coraux et à éponges sont bien visibles dans le canyon de l’Oued Zaafrane (géosite n°11), au nord du village de Ksar Hadada, donnant lieu à cette épaisse couche de calcaire qui coiffe les terrains jurassiques. Par ailleurs, plusieurs niveaux marqués par une influence continentale, matérialisant des baisses du niveau de la mer, renferment des restes de végétaux et de vertébrés. A Chaabet Beni Ghédir (géosite n°13), une centaine de traces de pattes de dinosaures marquent le sommet d’une dalle calcaire du Jurassique moyen (au Callovien, il y a 160 à 154 millions d’années).
Accélération de l'ouverture de la Téthys au Jurassique supérieur-Crétacé inférieur et dépôt du Continental Intercalaire
Vers la fin du Jurassique et au début du Crétacé (160 à 100 millions d’années), il y a intensification des mouvements de rifting et accélération de l’ouverture de l’océan Téthys. L’Atlantique Nord commence également à s’individualiser, séparant l’Amérique du Nord de l’Eurasie. Cette période cruciale dans l’Histoire de la Pangée, marquée par une importante fragmentation du super continent, est représentée au Djebel Dahar par des dépôts mixtes organisés en une succession de couches de sables, d’argiles et de carbonates puissante de l’ordre de 250 mètres. Comprise entre les carbonates marins du Jurassique supérieur et ceux du Crétacé supérieur, cette succession est connue sous le nom de «Continental Intercalaire». Il s’agit de dépôts essentiellement détritiques qui sont la conséquence des phénomènes de soulèvement ayant provoqué des émersions successives et prolongées de la plateforme saharienne au cours du Jurassique supérieur-Crétacé inférieur sur un intervalle de temps de l’ordre de 60 millions d’années. Durant ces nombreuses émersions, les plaines alluviales et les plaines côtières ont été colonisées par des forêts à fougères et à conifères. Alors que sur la terre ferme, les dinosaures théropodes (carnivores) et sauropodes (herbivores) régnaient, les marécages et les estuaires étaient les domaines des crocodiles, des tortues et des requins. Les airs étaient dominés par les ptérosaures qui sillonnaient le ciel, guettant les gibiers égarés. Les inondations marines qui ont entrecoupé ces périodes d’émersion sont à l’origine de la mise en place des plateformes carbonatées épicontinentales qui ont fossilisé les vestiges de ces paysages continentaux ayant couverts les marges nord gondwaniennes au passage Jurassique‐Crétacé.
A Djebel Merbah el Asfer, particulièrement, plusieurs gisements paléobotaniques avec des végétaux préservés en volumes et/ou en empreintes ont été mis en évidence. Ils comprennent la composition floristique la plus complète et la plus représentative de la flore du Barrémien et de l’Aptien de la plateforme saharienne et probablement de tout le Gondwana du Nord. Il s’agit d’une flore différente dans sa composition de celle qui était connue jusqu’à présent. L’inventaire de la biodiversité végétale de ces gisements a permis de décrire 16 taxons appartenant aux Bryophytes, Ptéridophytes et Gymnospermes. Un nouveau genre de Salviniaceae a été proposé, Daharia gen. nov., ainsi que 5 espèces nouvelles appartenant aux Bryophytes, Ptéridophytes et Gymnospermes: Hepaticites elegans, Piazopteris robusta, Aspidistes delicatula, Daharia tunisiensis et Cupressinocladus asferensis.
Vers le sommet du “Continental Intercalaire”, une couche lenticulaire de sables et grès grossiers à stratification oblique repose en discordance sur le reste de la série crétacée et jurassique. Cette discordance matérialise un événement tectonique important responsable du rajeunissement des reliefs sur la marge nord du continent Gondwana et des conditions climatiques suffisamment humides pour mobiliser et transporter d’aussi importantes quantités de sables grossiers depuis les grands boucliers sahariens jusqu’aux plaines côtières de la rive sud téthysienne. Attribués à l’Albien inférieur (110 million d’années), ces grès se distinguent par leur richesse en bois fossiles silicifiés et restes de vertébrés continentaux et marins. Aux environs de Ksar Haddada, plusieurs gisements ont livré des restes de dinosauriens représentés par des débris de côtes et d’os crâniens, des fragments de membres, des vertèbres, des griffes et des dents. Parmi ces dinosauriens, les plus représentés sont les:
– Théropodes: Abelisauridea indet, Carcharodontosaurus saharicus et Spinosaurus sp. les restes de ces deux deniers sont les plus abondants. Ils sont bien caractérisés par la formes de leurs dents, respectivement de carnivores et de piscivores. Ces deux théropodes étaient des redoutables prédateurs, les plus féroces et les plus grands des forêts de la marge nord gondwanienne.
– Ornithopodes: Iguanodon sp. et/ou Ouranosaurus également reconnu à la forme spécifique de leurs dents.
– Sauropodes: famille des Rebbachisauridae ind. et Tataouinea hannibalis qui est un nouveau genre, inconnu dans le reste du monde.
– Ptérosaures: famille des Ornithocheiroidea indet. Les oiseaux n’étant pas encore très développés, ces dinosaures volants étaient les maîtres des airs de l’Ere Secondaire.
Ces fossiles de dinosauriens sont mêlés à des restes d’autres vertébrés d’origine continentale et marine comme les plaques dermiques, dents et vertèbres de crocodiles, dents et plaques de Lepidotes, dents de Dipneustes et de requins, plaques de tortues marines et vertèbres de Plésiosaures. Ces restes confirment donc le paléo-environnement littoral dans lequel ces restes ont été accumulées et expliquent la rareté d’ossements connectés.
La dernière et la plus importante extension de la Téthys au Crétacé supérieur
Au-dessus de la série essentiellement argilo-sableuse du Continental Intercalaire, repose une épaisse couche carbonatée d’âge crétacé supérieur (Albien supérieur à Campanien : 97 à 70 millions d’années). Elle matérialise les derniers sédiments marins déposés par la plus grande extension atteinte par la Téthys avant son retrait définitif. Ces dépôts carbonatés sont largement transgressifs sur les couches sous-jacentes de l’Ère primaire et de l’Ère secondaire. Ils constituent la majeure partie du plateau du Dahar
Les nombreux niveaux à bivalves (rudistes et inocérames) et céphalopodes (ammonites) fossiles ayant disparu à la fin de l’Ère secondaire il ya environ 65 millions d’années, indiquent des conditions optimales de dépôt de carbonates dans les eaux tropicales de la Téthys. À la base de la barre dolomitique (Albien supérieur : 97 millions d’années) qui supporte le mausolée des Sept dormants aux environs du village de Chénini et dans les dolomies du Cénomanien (95 millions d’années) à Ksar Ayat dans la région de Douiret, les traces de pattes de dinosaures sont les seuls témoins de la vie continentale au moment de cette grande extension marine. Cette période a connu la plus célèbre crise de biodiversité, il y a 65 millions d’années, celle de la disparition fatale des lézards géants : les dinosauriens. Le retrait définitif de la mer a eu lieu à la fin du Crétacé, suite à un important mouvement de soulèvement qui a exondé définitivement le Djebel Dahar.
Le Dahar, un domaine continental à l’Ère Tertiaire et au Quaternaire
Depuis la fin de l’Ère secondaire et suite au mouvement de soulèvement de la bordure septentrionale de la plate forme-saharienne, le Djebel Dahar est devenu une terre ferme jusqu’à nos jours. Le mouvement de soulèvement a conduit à la constitution d’un bombement de l’ensemble de la région sous la forme d’un pli anticlinal dont la moitié orientale a été effondrée donnant lieu à la plaine de la Jeffara. Par contre, la moitié occidentale restant intacte correspond au Djebel Dahar. Elle a été soumise, depuis environ 60 millions d’années, à l’action de l’érosion. Le ruissellement a progressivement, à partir du Dahar vers l’Est et l’Ouest et accessoirement vers le Nord, excavé les couches géologiques accumulées durant les Ères précédentes. Ainsi, des vallées se sont enfoncées dans le relief que constitue le Djebel Dahar. L’élargissement de ces vallées a conduit à la formation de cuvettes, tandis qu’à l’Est, l’escarpement né de l’effondrement du bloc de la Jeffara recule lentement vers l’Ouest. Ce mouvement de recul et de creusement dans des couches formées de roches de résistance différente à l’érosion a permis le dégagement de buttes en avant de plusieurs escarpements constituant les fronts de relief typique (cuesta). Les matériaux résultant de cette action d’érosion exercée dans les vallées, dans les cuvettes ainsi que sur les versants des escarpements, ont été évacués par le ruissellement essentiellement vers le compartiment effondré de la Jeffara et en partie vers l’Ouest en bordure du Grand Erg Oriental.
Au cours de l’Ère quaternaire, les cuvettes et les vallées du Dahar ont été le siège d’accumulation de sables fins et de limons déposés par le vent. Ces sédiments proviennent des environs du Dahar, essentiellement du Grand Erg Oriental. Un climat plus humide que l’actuel a favorisé le développement d’une végétation plus dense piégeant des sables fins et des limons. Ces dépôts peuvent atteindre plus de 20 m d’épaisseur particulièrement dans les cuvettes aux alentours de Matmata, comme c’est le cas à Beni Issa. Ils ont été, durant l’Histoire humaine et jusqu’à nos jours, d’une importance capitale pour le peuplement de la région aussi bien pour l’habitat que pour la pratique de l’agriculture.