3000 ans d’histoire de civilisations

Le Dahar, grâce à son relief montagneux, a toujours servi d’habitat et de refuge depuis la Préhistoire à une population restée en partie semi-nomade et largement souveraine jusqu’à la fin du XIX^ème siècle. Il reflète une fantastique capacité d’adaptation de l’Etre humain à un environnement naturel particulièrement austère, avec un ensemble d’œuvres humaines véritablement spécifiques à la région qui en fait une véritable “civilisation”.

Son Histoire est aussi marquée par les relations étroites que les populations du Dahar ont entretenues avec les nombreux peuples et civilisations qui ont sillonné le Sud de la Tunisie depuis l’Antiquité : phéniciens, puniques, romains, byzantins, bédouins, hilaliens, arabes, musulmans, turques, français… et depuis une cinquantaine d’années, touristes étrangers de toute provenance !

A leur contact, les habitants du Dahar ont pu développer une certaine prospérité, adopter et améliorer leurs techniques et technologies, et sont sont largement métissés, depuis le Moyen-Age tout au moins ; adoptant tardivement et après quelques résistances la religion musulmane ; et plus récemment le système administratif moderne qui peine encore parfois à s’implanter…

Le peuplement de la région – et bien sûr l’habitat troglodyte – remonte aux périodes les plus anciennes de la Préhistoire (le Paléolithique). Il s’est poursuivi jusqu’au Néolithique, il y a 8 000 ans à 4 000 ans, comme en témoignent l’existence de quelques sites d’occupation fossilisés, une magnifique escargotière, et des peintures rupestres dans la vallée de Ghomrassen (Taguet Hamed, Insefri et Chaabet Maarek) datées d’environ 4 000 – 5 000 ans. Ces peintures réalisées à l’ocre rouge représentent des personnages ainsi qu’une riche faune domestique (bovidés et canidés) et sauvage (félins, éléphants, autruches et antilopes). Elles constituent un patrimoine unique en son genre dans tout le Sud Est de la Tunisie

En Tunisie, la période antique débute dès -1’100 av. JC avec l’arrivée des Phéniciens qui installent de nombreux comptoirs commerciaux sur les côtes de la Tunisie actuelle (Utique, Kerkouane, Djerba, Zarzis,…) dont certains à moins de 60 km du Dahar. Ce n’est qu’à partir de la fondation de Carthage vers -814 av. JC que les phéniciens s’installent véritablement pour créer la civilisation Punique qui commence à occuper l’intérieur des terres.

Le Sud Tunisien, dont fait partie le Djebel Dahar, reste cependant sous le contrôle des tribus locales Berbères, qui entretiennent des échanges commerciaux avec les occupants des côtes du littoral. C’est à cette époque qu’apparaît l’écriture Amazigh (Bérbère) en caractères dits « libyques », datant selon les sources du troisième ou cinquième siècle av. JC., probablement dérivée de l’alphabet phéniciens-puniques.

L’arrivée des Romains à partir de 146 av. JC marque le début de l’occupation du Sud Est de la Tunisie. La montagne du Djebel Dahar, toujours peuplée et mise en valeur par les tribus berbères, n’a pas cependant pas connu de colonisation directe à en juger par la rareté et la nature des sites romains de cette époque. Il était plutôt « encerclé » à l’Est et au Nord par une présence romaine importante dans la plaine de la Jeffara, et à l’Ouest par un ensemble de fortins (castella) comme Ksar Ghilane (Tisavar) par exemple, de murailles (Clausurae), et de camps (Castra) constituant une ligne défensive : le fameux limès (Limes Tripolitanus). Des tronçons de ces murailles sont encore visibles dans la vallée de Chénini, dans la région de Khil à l’Ouest de Ghomrassen sur l’oued Zrhaia.

Cette forte présence militaire romaine avait pour objectif de contrôler les déplacements des tribus berbères, protéger les sites installés dans la plaine du Jeffara et sécuriser les voies de commerce transsaharien sous contrôle berbère. Si cette présence romaine n’a pas eu d’incidence sur le peuplement ethnique du Dahar, qui reste fondamentalement berbère jusqu’au Moyen Âge, la pression romaine aurait favorisé la sédentarisation selon l’historien André Louis (« Le monde “berbère” de l’extrême sud tunisien », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, 1972, p.109), la construction des premières citadelles ou encore l’adoption des technologies encore utilisées aujourd’hui dans les huileries traditionnelles.

De même, pendant la domination byzantine de la Tunisie et du Sud-Est Tunisien (après 530 ap. JC), les tribus berbères de la région ont maintenu le contrôle des terres de leurs ancêtres. Deux groupes de tribus indépendants coexistaient en entretenant des alliances : les « Lawata » et les « Zanata ». Selon certains habitants de la région, il est possible que le Dahar ait en partie été christianisé à cette époque.

Espace stratégique entre la côte méditerranéenne et le Sahara, le Sud Est de la Tunisie a aussi toujours constitué une zone de passage entre l’Orient et l’Occident. Les armées arabes venues d’Egypte ont emprunté cette voie de passage. Assez vite, une résistance des tribus berbères, quelquefois forte, s’est organisée surtout dans les zones des montagnes.

Dès les débuts de la conquête arabe, les tribus berbères qui occupaient le territoire du Dahar ont réussi à maintenir une certaine autonomie à l’égard du pouvoir central en Ifriqiya fondé dès 800 – 900 ap. JC (Kairouan 184 – 296 et Mahdia 296 – 361 de l’Hégire).

Toutefois séduits par la doctrine égalitaire de l’Islam Ibadite (la “3ème voie de l’islam“), les Berbères mirent en place de petits « émirats » indépendants. Le Djebel Dahar était donc une zone d’implantation ibadite avec un pouvoir local assuré par les principales tribus berbères Zanata, Lawata et Hawwara qui constituaient l’ossature de la population dans la région.

Le milieu du XIème siècle a été marqué par l’arrivée en vagues successives de tribus venus d’Arabie, les Beni Hilal (Hilaliens) et les Beni Soulaym, conduisant de nombreuses communautés tribales à se retrancher dans le Djebel Dahar derrière un substrat culturel très ancré. A peu près à la même période, vers et après 1159, le peuplement du Dahar a également été enrichis par des Almohades originaires du Maroc actuel avec l’arrivée d’hommes religieux (marabouts) auxquels la fondation de quelques villages dans le Djebel Dahar est attribuée.

C’est également à cette époque que traversèrent et s’installèrent les Bédouins également venus d’Arabie qui peuplent en partie la région de Douz notamment à l’Ouest du Dahar.

Durant tout le Moyen Âge, le Dahar a donc connu des épisodes de trouble et d’insécurité qui sont à l’origine du peuplement des villages occupant des sites défensifs. Ces « villages citadelles » formaient un réseau permettant de communiquer entre eux afin de déclencher les alertes en cas d’attaque par l’ennemi.

Avec ces nombreux mouvements de population, une nouvelle période a aussi vu le jour au cours de laquelle les civilisations berbère et arabo-musulmane ont appris à se mélanger et coexister dans les montagnes avec des concessions et des alliances qui ont progressivement produit le « métissage » et le patrimoine actuel du Dahar.

Durant tout le Moyen Âge et jusqu’à une époque récente, la région a connu une mosaïque de tribus berbères puis arabes, qui va s’organiser dès la fin du XVI^ème ou au début du XVII^ème siècle en confédération avec les Ouerghemma pour faire face aux pouvoirs centraux qui caractérisent l’époque moderne.

Depuis l’époque romaine, les populations du Dahar, établies autour de leur système de citadelles défensives et des jessour pour réguler la gestion et l’accès à l’eau, font preuve d’une organisation politique et sociale très élaborée reposant sur les alliances successives entre tribus, clans et familles afin d’assurer la sécurité de la région. Ces alliances se sont étendues aux tribus arabes venus s’installer dans la montagne à la fin du Moyen Age. Le maillage des villages et des ksour citadelles, appartenant à diverses tribus et situés à bonne distance au sommet des montagnes pour communiquer entre eux, témoignent de ces alliances entre clans.

Au XVI^ème siècle probablement, un ensemble de tribus sédentaires et semi-nomades du Dahar et de la plaine de la Jeffara (allant jusqu’à Ben Gardane près de la frontière libyenne) se rassemble pour former la Confédération des Ouerghemma afin de pallier l’éloignement ou la désorganisation d’un pouvoir central en plein essor, celui des Beys de Tunis, et organiser la vie dans le sud-est tunisien autour d’un pacte régissant les règlements et litiges. La mémoire collective affirme que cette union des tribus fut l’œuvre d’un homme d’ascendance chérifienne, Moussa Ben Abdallah, qui prêchait un islam de tolérance et d’égalité entre Arabes et Berbères.

Excellents cavaliers, les Ouerghemma fournissaient aux Beys de Tunis des supplétifs qui s’équipaient et se montaient à leurs frais, et jouissaient en échange d’une exemption fiscale.

Elle se compose de trois périodes : la période beylicale (Turque), la colonisation française et l’Etat tunisien après l’indépendance. L’histoire moderne du Dahar est également marquée par le rôle important de la région durant la 2^ème guerre mondiale.

Dès le XVII^ème siècle, après une longue période d’arabisation qui a conduit à une forte réduction des risques sécuritaires (pillages, etc.), une « proto-économie moderne » se développe avec le développement des marchés dans les plaines et la croissance de villes avoisinant la zone montagneuse du Dahar. La prolifération et la dimension imposante des ksour de plaine au XVIII et XIX^ème siècle, témoigne de la vitalité des échanges économiques et d’une réelle prospérité à cette époque.

Sous le règne beylical, qui dirige l’essentiel de la Tunisie depuis 1612 avec un véritable pouvoir central, les habitants du Dahar ont refusé à maintes reprises de se soumettre et de payer les impôts. Ceci a conduit les Beys de Tunis à essayer de contrôler ce territoire et de maîtriser la situation. Ainsi, le Bey Hammouda Pacha et son armée ont assiégé le Djebel Matmata (Nord du Dahar) pour le soumettre et obliger sa population au paiement des impôts. Organisés en Confédération des Ouerghemma, les tribus berbères et arabes du Sud Est tunisien ont cependant pu obtenir un accord avec les Beys de Tunis en fournissant des cavaliers en échange d’une exemption fiscale permettant à leur région de rester très autonome.

Avec l’installation en 1881 du protectorat français, le Sud de la Tunisie a connu une forte résistance face à la pénétration militaire française et a parfois servi de refuge aux résistants venus d’autres régions, avant d’être occupé et placé sous administration militaire. Le régime colonial a profondément déstructuré le système socio-économique de la région, en particulier en introduisant des mesures de sédentarisation des populations. Parmi ces mesures, figuraient la restriction des zones de déplacement des tribus qui pratiquaient la transhumance en adaptation à l’aridité du climat. La Confédération des Ouerghemma, dont le chef lieu était Médenine où s’est installé le Bureau des Affaires Indigène, a été dissoute par l’administration coloniale en 1883 dès son installation.

Certains Ouerghemma se réfugièrent en Libye, d’autres choisirent de rester sur le territoire faisant allégeance au Protectorat, entraînant des affrontements fraternels sanglants. Bien que la Confédération ait été officiellement dissoute, l’organisation administrative coloniale étant soumise à de fortes pressions dans le Sud-est tunisien, elle s’appuya toujours sur les Ourghemma et ses cavaliers pour assurer la protection du territoire et de la frontière libyenne jusqu’à l’indépendance en 1956. (Sources : Mohamed el Aziz Ben Achour 2016 / Mohamed Nasser Bettaïeb 1998).

La tendance observée lors de la période coloniale concernant les changements socio-économiques s’est accentuée après l’indépendance de la Tunisie en 1956. L’organisation en tribus tend à disparaître progressivement à la faveur de l’émergence d’un Etat national et seuls quelques villages berbérophones (Zraoua, Tamazret, Taouejjout à Djebel Matmata et Chéneni, Douiret dans la région de Tataouine) gardent encore une conscience d’appartenance berbère et pratiquent leur langue.

Un dépeuplement des sites d’accès difficile a été encouragé par l’Etat avec la création de villages modernes en contrebas des villages historiques en vue de faire profiter les populations de certains services publics (routes, électricité, écoles, dispensaires, services administratifs,…) et de constructions en béton plus confortables que l’habitat troglodyte. La plupart des villages historiques ont été totalement abandonnés (Zraoua, Guermessa, Douiret, …), ou partiellement désertés (Toujène, Rass El Oued, Chénini même si ce dernier conserve un peuplement important), leur population s’étant progressivement déplacées dans les nouveaux villages, tandis que l’exode rural vers les villes et l’émigration vers l’étranger se sont généralisés.

Ce processus n’est pas sans répercussions sur le milieu naturel et humain et sur le paysage. Si d’un côté les revenus des immigrés permet une amélioration du niveau de vie avec plus de confort, d’un autre côté surgissent plusieurs problèmes liés à l’émigration. Le plus grave est l’abandon des terres, des villages et des systèmes traditionnels de gestion du milieu comme les jessour. Durant de très nombreux siècles, ce savoir-faire traditionnel à su se transmettre et évoluer pour maintenir des équilibres fragiles dans un milieu particulièrement aride, et permettre ainsi son peuplement. Actuellement, le risque de perdre le savoir-faire traditionnel local en matière de gestion des ressources naturelles et des systèmes environnementaux se pose sérieusement, avec des conséquences non seulement écologiques, mais également sur la capacité de résilience économique des populations confrontées au manque d’emplois ‘modernes’ dans la région. Ce qui explique que les habitants, très attachés à leur milieu et souhaitant pour une grande partie d’entre eux continuer de pouvoir y vivre, fournissent un effort considérable pour sauvegarder leurs patrimoines.

L’importance géostratégique du Sud tunisien s’est une fois de plus révélée pendant la deuxième guerre mondiale. Dans cette zone clef de la rivalité entre les forces des Alliés et celles de l’Axe, une série d’ouvrages militaires défensifs a été construite par l’armée française entre 1935 et 1939 pour contrer une éventuelle attaque des italiens en provenance de la Lybie. Cette ligne défensive est connue sous le nom de la ligne de Mareth ou ligne Maginot du désert. Composée de 15 postes de commandement, de 28 postes de tranchées, de 40 casemates d’infanterie et de 8 socles de défense antiaérienne, elle s’étend sur 45 km de la mer à l’Est jusqu’au Djebel Dahar (Kef Ennsoura).

La ligne de Mareth a constitué un élément capital dans le repli des forces de l’Axe vers la Tunisie, commandées par le Maréchal Rommel, qui venaient d’être vaincues à la bataille d’El Alamein en Egypte par la VIIIème armée britannique commandée par le Général Montgomery. Réarmée par les allemands pour s’opposer et résister à l’avancée des forces des Alliés entre novembre 1942 et mars 1943, elle n’a cependant pas résisté au contournement réussi à travers le Djebel Dahar (vallée de l’oued Hallouf) par la VIIIème armée britannique.

Le musée militaire de Mareth qui se trouve sur la rive gauche de l’Oued Zigzaou, reconstitue la ligne et le déroulement des opérations avec des moyens audiovisuels, de notices explicatives ainsi que des documents photographiques qui facilitent aux visiteurs la compréhension du fonctionnement de cette ligne et les étapes de la guerre.